Un 14 juillet sans éventail doré dans le ciel. C’est la hantise des artificiers. Et pourtant, c’est ce qui se profile pour la fête nationale cette année. Pas de bals, pas de fête, pas de feux d’artifice dans de nombreuses communes de la région. « Ce serait du jamais vu ! » S’exclame Romain Schonfeld, directeur général de Pyragric, basée à Rilleux-la-Pape. « Même pendant la guerre, mon père et mon grand-père ont tiré des feux », ajoute le dirigeant de cette entreprise familiale qui a vu le jour en 1935 et qui est aujourd’hui l’un des leaders du secteur.
« Les oubliés du déconfinement »
« On ne sait pas où on va, les dernières annonces sont très floues », regrette Romain Schonfeld. « Les restaurants, les bars, les hôtels, et même les salles de concert ont rouvert, et nous, qui organisons des manifestations en plein air, où il y a moins de risques pour les gens que dans une salle, nous ne pouvons pas rassembler plus de dix personnes dans la rue. Nous sommes les oubliés de ce déconfinement ! » Romain Schonfeld est en colère. Les feux du 14 juillet, c’est une question de survie pour Pyragric. Sur ces deux jours (le 13 et le 14), l’entreprise réalise 80% de son chiffre d’affaires. 2500 feux tirés aux quatre coins de la France. Une trentaine de saisonniers embauchés. Cette année, 70% des évènements ont déjà été annulés, les autres, reportés. Il reste moins de 200 évènements à assurer pour la fête nationale.
Faire évoluer les restrictions : le seul espoir de la profession
En effet, les rassemblements extérieurs réunissant plus de dix personnes restent, dans la grande majorité des cas, interdits jusqu’à la mi-juillet. Mais en ce moment, les règles évoluent vite. « En ce qui concerne les rassemblements de plus de 5000 personnes, les textes sont clairs, c’est interdit jusqu’à mi-août », explique Jean-François Dartigue-Peyrou, secrétaire général du SFEPA, le syndicat de la profession. Mais pour les autres ? Car un nouveau décret, publié hier au Journal Officiel, vient changer la donne. On peut y lire que « les cortèges, défilés et rassemblement de personnes, et, d’une façon générale, toutes les manifestations sur la voie publique » bénéficient désormais d’une dérogation. Ils sont autorisés par le préfet si leur organisation garantit le respect des gestes barrières. « Nous avons une lecture très large de ce nouveau texte, il ne peut pas mentionner tous les types d’évènements mais nous pensons que les spectacles pyrotechniques en font partie », assure Jean-François Dartigue-Peyrou.
Des maires hésitants
Un nouvel espoir, pour les artificiers. Car les plus petits spectacles représentent 65 % des 12 000 feux tirés en France chaque année. Ceux des petites villes et des villages. Et ils attirent bien moins de 5000 personnes. Le SFEPA compte donc sur les petites communes pour limiter les dégâts sur l’année. « Certains élus ont la volonté de présenter des feux à leurs citoyens, alors même si seulement 45 ou 50% d’entre eux les maintiennent, cela peut déjà sauver la profession. Car si on ne peut pas tirer du tout, cela va couler le secteur ».
Mais les communes restent aujourd’hui prudentes. « Beaucoup de collectivités ont dépensé énormément d’argent dans la lutte contre le Covid, et l’un des premiers budgets écartés pour rattraper le coup, c’est l’évènementiel, nous sommes les premiers touchés », regrette Romain Schonfeld, de Pyragric. Autre facteur limitant : le second tour des élections, organisé le 28 juin. « C’est la double peine ». Le dirigeant insiste donc : « il faut inciter les collectivités locales qui ont déjà voté les budgets à reporter et pas à annuler purement et simplement les feux ». Car la maison emploie une quarantaine de personnes à temps plein. Des charges fixes, auxquelles s’ajoutent celles de production et de stockage. « Dans la profession, on table sur un chiffre d’affaire de 20% pour cette année, pas plus », prévient Romain Schonfeld.
Les petites structures, pas épargnées
Et si les grosses structures craignent pour leur avenir, chez les plus petits artificiers, la situation aussi est « très très compliquée ». Sylvain Gibernon, fondateur de la société Lyon Lumière, a candidaté à cinq appels d’offres pour l’organisation des feux du 14 juillet. Des demandes des petites communes. Aucune n’a donné suite. Mais sa société est surtout spécialisée dans le tir de feux d’artifices pour les mariages et autres évènements prisés. Et là aussi, le secteur n’a pas été épargné par la crise. « J’ai eu beaucoup de demandes de report à fin 2020 voire en 2021. C’est un problème, parce que les feux avaient déjà été commandés, ce qui occasionne des difficultés à la fois de trésorerie, mais aussi de stockage ». Sylvain Gibernon espère donc revendre son stock à d’autres clients dès le mois de septembre. « Mais à cause de Covid, les gens hésitent à planifier de nouveaux évènements, ils restent très frileux », explique Sylvain Gibernon. Très peu de nouvelles prestations à l’horizon donc. Sylvain Gibernon emploie d’ordinaire entre 10 et 15 artificiers entre avril et novembre. Cette année, il n’embauchera personne.
Un feu pour tourner la page
Les artificiers espèrent donc obtenir des réponses très concrètes du gouvernement. Et rapidement. Les feux d’artifices sont-ils autorisés ? « Il faudrait que le gouvernement tranche de manière claire et nette sur les jauges et donne des instructions aux préfets », assure Romain Schonfeld. Car bientôt, il sera trop tard. Les entreprises, même si elles ont été prévoyantes, ne pourront plus ni produire ni organiser les feux à temps pour la Fête nationale. L’instruction des demandes d’autorisation en préfecture prend une trentaine de jours. « Il faut que, dans la semaine, on puisse envoyer un message fort et dire c’est bon, on a débloqué la situation pour telle ou telle catégorie d’évènement », affirme le SFEPA.
Et pour mettre toutes les chances de son côté, Pyragric assure avoir « réinventé » le feu d’artifice. L’entreprise propose désormais aux communes de tirer des feux de plusieurs sites, en hauteur et en simultané. De cette façon, le spectacle sont visibles à 360 degrés et d’un peu partout. Plus besoin de se rassembler sur la place principale du village. C’est d’ailleurs ce qu’étudie aussi la Ville de Lyon. Un feu d’artifice symbolique et tiré en hauteur. Car les artificiers en sont convaincus, « le public a besoin de se retrouver, de faire la fête, de lever la sinistrose ambiante, tout en respectant bien sur les gestes barrières ». La profession compte donc sur toutes les bonnes volontés pour mettre le feu aux poudres.