Ariège : pour les artificiers, l’été 2022 vire au pétard mouillé

Un été comme celui-ci, les professionnels de l’artifice s’en seraient volontiers passés. En Ariège, la première banderille a été plantée par la préfecture mardi 12 juillet, deux jours avant la fête nationale et ses traditionnels feux d’artifice. Alors en pleine canicule, la vague de chaleur et le passage du Tour de France avaient été invoqués pour justifier l’interdiction du tir des feux dans le département jusqu’au 17 juillet inclus.

Artificier à Toulouse pour le compte de sa société Toulouse Artifices Créations, Michel Murcia a vu rouge une première fois. Lui qui devait tirer des feux dans toute l’Ariège, a été contraint de tout annuler au dernier moment. « La préfecture ne m’a pas prévenu. Les camions étaient chargés, prêts à partir. C’est la première fois que je vois ça. Après le Covid, on ne pouvait pas tirer car la pluie nous en empêchait, cette année, c’est la chaleur, il faut être sérieux. Cet arrêté, comme celui pris dernièrement, est complètement disproportionné. Franchement, je suis en colère. »

Un manque à gagner de 40 000 euros pour certains pros

Sa colère, engendrée par le nouvel arrêté préfectoral identique à celui du 12 juillet (du 25 juillet à ce soir minuit), Michel Murcia la trouve légitime. D’autant plus que selon lui, les moyens techniques ont évolué dans le bon sens.

L’homme de 63 ans qui devait tirer pas moins de dix feux reprend : « Nous autres les artificiers, on n’est pas des pyromanes. Aujourd’hui, on n’a pas de retombées de feux allumés sur le sol comme il y a 40 ans. La durée des étoiles est beaucoup plus courte et le risque incendiaire est quasi nul. Qui plus est dans un lieu comme à Saverdun, où l’on tire en plein centre-ville. » À la louche, l’autoentrepreneur estime son manque à gagner estival à 40 000 euros au bas mot.

Si quelques feux seront reportés, certains ont tout bonnement été annulés sans dédommagement pour l’artificier. « Aucune assurance ne prend en charge le risque d’annulation. Aujourd’hui, je réclame que certains clients (essentiellement des mairies, ndlr) me versent une partie des feux annulés par cette décision préfectorale. »

« L’impression d’être encore le dindon de la farce »

De son côté, Jean-Jacques Servat ne vit pas beaucoup mieux la situation que son collègue toulousain. Son métier : revendeur d’artifices pour les professionnels du secteur.

Installée du côté de Mercenac, l’annulation des feux pose à sa société un problème de gestion des stocks d’explosifs. « Dans mon dépôt, j’ai le droit de stocker 2 tonnes de feux d’artifice et 8 tonnes de petits artifices, pas un gramme de plus. Je ne vais pas pouvoir tout stocker. J’ai déjà livré certains clients, mais il va y avoir des retours. C’est la première fois qu’on a autant d’annulations ici en Ariège. La désorganisation est totale et on a l’impression d’être encore une fois le dindon de la farce. »

Ce que l’homme de 62 ans regrette aussi, c’est de voir cet arrêté pris dans un contexte d’inflation monstrueux. Il peste : « 90 % de notre activité a lieu l’été. Pour le Covid, il y a eu des aides et heureusement d’ailleurs. Là, il n’y en aura pas. Entre la hausse des carburants, la situation de quasi-monopole de la Chine sur la fabrication des artifices ce qui entraîne une hausse des prix des matières premières, et les produits qui vont me rester sur les bras, je pense que mon manque à gagner va flirter avec les 10 000 euros ».

Pour tenter de sauver les meubles, certains comme Michel Murcia ont d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient écrire à la préfecture de l’Ariège, mais ils ne sont pas dupes.

Cette année, l’été des marchands de rêves aura finalement eu des allures d’affreux cauchemar.


« Ce métier a encore de l’avenir »

Un artificier préparant un spectacle se doit être minutieux.
DDM Archives.

Former la relève à en mettre plein les yeux aux spectateurs, c’est le passionnant métier de Bernard Ferriol, seul formateur en pyrotechnie d’Ariège. Pour l’homme de 63 ans à la tête de l’association ArtPyro installée à La Tour-du-Crieu, le temps qui passe n’a pas eu raison de sa passion. « J’ai monté cette association pour transmettre ma passion aux jeunes qui veulent se lancer, explique Bernard Ferriol.

Aujourd’hui, il n’existe qu’un seul diplôme pour être artificier, c’est le F4-T2. Pour l’obtenir, il faut passer par un organisme comme le nôtre et par la préfecture qui délivre un agrément. La profession est vachement plus réglementée qu’elle ne l’a été par le passé. Pour preuve, à l’époque, dans les années 1980 par exemple, un artificier F4-T2 pouvait assurer la surveillance de plusieurs sites de tir à la fois. Maintenant, c’est interdit. C’est un artificier par site, basta. »

Pour lui, l’arrêté préfectoral de cette semaine « n’est pas un scandale compte tenu des moyens limités des pompiers » ariégeois, dont certains sont mobilisés dans d’autres départements (lire en page 20). En revanche, il aurait aimé que cet arrêté soit nationalisé, afin de ne pas créer de concurrence déloyale au sein de la profession.

Chaque année, ArtPyro forme une quinzaine de futurs artificiers. Même si les besoins se font ressentir en termes de professionnels dans le milieu, le formateur garde la foi : « J’ai l’espoir de dire que ce métier a encore de l’avenir. » Pour lui, l’exemple espagnol où « les feux sont tirés par des températures caniculaires chaque été », vient balayer l’idée que le réchauffement climatique va tuer le monde de la pyrotechnie dans l’Hexagone.

Pour la magie et la beauté de ces moments festifs qui restent ancrés dans nos mémoires, espérons qu’il ait vu juste.