Assis à son bureau de Fresnes-sous-Coucy dans l’Aisne, Yvon Hamza lit le texto qu’un maire vient de lui envoyer : « Je suppose que vous vous doutez que le feu d’artifice prévu le 29 juin sur notre commune sera annulé. La fête communale aussi évidemment. Nous ne savons pas encore si cela pourra être reporté. Nous vous tenons au courant. » Des messages comme celui-ci, le patron de cette entreprise de pyrotechnie de l’Aisne en reçoit tous les jours depuis plusieurs semaines. Impossible pour les communes d’organiser les festivités habituelles. Le planning reste désespérément vide. En temps normal, d’avril à août, au plus fort de son activité, l’entreprise tire 180 feux d’artifice dans des fêtes communales, des mariages et pour le 14 juillet. Un rendez-vous toujours incertain.
Un entrepôt vide
« Pour le moment, on discute avec les mairies pour que les feux soient reportés, explique Yvon Hamza, le dirigeant de la société. Ils sont aussi embêtés que nous. Et ils veulent nous aider. Mais tous les jours, ce sont les mêmes demandes : si on annule combien ça coûte ? Si on reporte, on peut reporter jusqu’à quelle date ? Tous les jours, c’est la même discussion. Pour l’instant, je n’ai que deux ou trois de dates fixes pour août mais c’est sous réserve. »
En pleine saison des fêtes, le dépôt de l’entreprise devrait être en pleine effervescence et regorger de bombes, de batteries. Les produits ont été achetés mais le fournisseur attend le feu vert pour les livrer. Tous les plans de feux sont prêts. Mais pour la première fois, c’est le grand vide. « Normalement, on aurait des feux stockés partout et trois ou quatre personnes en train de préparer les produits et on aurait notre stock plein, montre Thomas Hamza, le gérant. On pourrait préparer mais si c’est pour ne pas s’en servir, ça ne sert à rien ».
50% du chiffre d’affaire le 14 juillet
Le manque à gagner est déjà de 70.000 euros pour l’entreprise et pourrait aller jusqu’à 125.000 euros si aucun feu n’est tiré en juillet. La fête nationale représente en effet 50 % de son chiffre d’affaires avec rien moins qu’une cinquantaine de feux tirés. « On peut tenir jusqu’à fin juin/début juillet, selon Yvon Hamza. Après, ça va devenir difficile. On a des aides pour le moment, donc ça va ».
L’unique salariée en CDI a été mise en chômage partiel et les saisonniers n’ont pas été réembauchés. Une situation d’autant plus angoissante pour Yvon Hamza que, cet été, il laisse les rênes de l’entreprise à son fils : » le passage de relai se fait difficilement. Ce ne sont pas les meilleures conditions pour passer la main. »
Reporter les contrats à la fin de l’année
Les entreprises de pyrotechnie répondent à des appels d’offres lancés par les mairies. Les contrats sont signés en début d’année civile pour que la dépense apparaisse dans les budgets de la commune. Mais ils ne sont pas payés en avance. La ligne budgétaire « feu d’artifice » pourrait être transférée sur un autre poste de dépense jugé plus indispensable. Et l’entreprise de pyrotechnie perdrait sa rémunération. Une situation qu’elle souhaite éviter : « J’aimerais quand même bien tirer certains feux pour le 14 juillet si c’est possible. Et si ce n’est pas possible, j’aimerais bien qu’au moins en fin d’année, ce soit reporté avec les marchés de Noël, les petites fêtes communales, confie Thomas. C’est aux mairies de jouer le jeu. En même temps, je les comprends : c’est une responsabilité. Mais j’espère qu’on va pouvoir avoir un certain fonds de commerce pour pouvoir payer certaines charges, parce que vivre avec les aides de l’Etat, ce n’est pas marrant tous les jours. On peut demander un crédit exceptionnel auprès des banques. Mais si on prend un crédit sans savoir si on peut le rembourser derrière, je ne préfère pas. »
Encore temps de s’organiser
Les modalités de la fête nationale pourraient être précisées le 22 juin. Une date qui laisse un délai suffisant aux artificiers pour monter leurs feux : « Si on a le feu vert début juillet, on peut faire les 14 juillet. Mais après, ça peut être dangereux: il y a des normes de sécurité et on ne peut pas se précipiter », précise Yvon Hamza. « Si le gouvernement décide de faire tout repartir le 22 juin, pour le 14 juillet, ce sera bon, confirme son fils. Mais pas en huis clos ! Je ne tire pas un feu juste pour nous ou pour les gens de la mairie ! Si les gens ne peuvent pas venir le voir, ça ne sert à rien. »
Et Yvon Hamza, artificier depuis 50 ans, de conclure : « Je n’imagine pas la fête nationale sans feux d’artifice. C’est dur pour tout le monde en ce moment. Alors si on peut apporter un peu de bonheur aux gens avec des feux d’artifice… »