L’évènement : New Order
Ouverture tonitruante (Ecstasy of Gold d’Ennio Morricone), animations vidéos, jeux de lumière travaillés, setlist best of : pour leur unique date en France, New Order a sorti l’artillerie lourde. Une machinerie orchestrée au millimètre, imposante. Mais point de méprise : voir et entendre, portés par la voix intacte de Bernard Sumner et les percussions de Stephen Morris, des titres comme Blue Monday, Temptation, Love will tear us apart ou encore Ceremony, reste un plaisir et un privilège.
La surprise : Jake Bugg
Son album, aussi bon soit-il, ne laisse pas présager de la force scénique de son auteur. De la capacité de ce simple gamin de 19 ans, polo au col relevé, tignasse en bataille, de rendre un âge englouti, une époque folk lointaine, Dylan et Neil Young en tête (superbe reprise de Hey Hey My My). Sous une brise légère, au creux de ce cadre agréable, un brin de nostalgie définitivement rafraîchissant.
La déception : Bloc Party
Là, malgré le déchaînement des foules, l’hystérie collective, malgré l’alchimie entre puissance sonore et tubes fédérateurs, quelque chose, difficilement dicible, accroche. Une absence, née peut-être d’un excès de nonchalance (Ole Kereleke ne lâchera pas son chewing-gum du concert) ou du manque évident de réarrangements de leurs compositions (hors un bout de We Found Love de Rihanna). Concert paradoxal en somme, tiraillement entre l’efficace des partitions et postures agaçantes d’un groupe pas forcément à hauteur de son public.
Le voyage : Dead Can Dance/ Bat for Lashes
A 24 heures d’intervalle, sur des modes différents, deux parenthèses, apartés précieux. D’une part Bat For Lashes, le timbre cristallin de l’anglo-pakistanaise Natasha Khan, sensualité enivrante, légèreté irradiante, minimalisme sophistiqué. De l’autre Dead Can Dance, duo trentenaire formé autour de Lisa Gerrard et Brendan Perry, valse métissée, mélismes lyriques teintés de mysticisme. Deux ailleurs, deux évasions intensément soufflées, les pieds solidement arrimés au sol normand.
La classe : Benjamin Biolay/Oxmo Puccino
Ici, pas de vidéos ou de pyrotechnie. Ici point d’ambages, d’excès de zèle ou de poses encombrantes. Ici seulement, des voix, textes, partitions, carnées par des artistes charismatiques, simples, ciseleurs de verbes et soucieux, à chaque instant du set, de toucher l’auditoire. Croisade hip hop du “Black Jacques Brel” ou odyssée pop du dandy Biolay : variantes d’un paysage élégant admiré par des milliers de regards bienveillants.
Le WTF : GaBLé
Au soleil dévorant du samedi après-midi, encore bourdonnants de la veille, une bourrasque détonante, inattendue. Ou GaBLé, trio halluciné, fantaisiste, lointaine descendance de Frank Zappa et Pierre Henry, somme bruitiste, inclassable, capable de jouer de la guitare avec une flûte à bec en plastique vert ou d’user d’un cageot en bois comme d’un instrument. Une performance déroutante, prolongée par d’étranges apparitions le long du festival : processions en masques de lapins façon Inland Empire de David Lynch ; des hommes en manteau de fourrure et slips bariolés ; clowns gonfleurs de ballons et même…un stand d’huîtres.
La claque : The Jon Spencer Blues Explosion
Heure tardive, spotlights verdâtres, vapeurs illicites. Sur la pelouse couleur nuit, quelques passionnés brandissent le poing. Fin de la récré : le trio New Yorkais débarque, et ne plaisante pas. Les guitares, grasses et débordantes, poignardent le ciel normand. Le batteur, croisement entre Lemmy et Jack White, martèle à fendre les tympans des festivaliers encore debout. Aucun répit, Jon Spencer sature l’atmosphère de son blues rock agressif et sexuel. A 2 heures du matin, l’air devient moite, la sueur épaisse, l’œil trouble et les mains tremblantes. Première soirée et claque définitive.
Le héros : Nick Cave The Bad Seeds
Sur les écrans à la faveur d’un soleil déclinant, une silhouette mince, Elvis désarticulé, entouré de barbus ébouriffés aux yeux hantés. Une psalmodie monte, une messe profane s’organise. Les larmes coulent (Into My Arms, Push The Sky Away), la rage étreint (Stagger Lee), le diable guette (Higgs Boson Blues). Nick Cave officie, là, aux premiers rangs, la main dans la main de fidèles chanceux (et émus), lui, héros romantique au regard dévorant, soleil noir d’un rock à l’agonie.
Les relous : Skip The Use
Un bémol, ombre au tableau dominical. Après deux bons concerts (The Hives et Biolay), la formation lilloise a saboté l’espoir d’une journée idéale. Kermesse bruyante, fourre-tout, pillarde (l’horrible reprise de Song 2 de Blur), vaste compilation des clichés rock et pseudos-punk (slogans originaux comme “on en a rien à branler” ou “on va tout niquer”), la prestation emmenée par l’énergique Matt Bastard, pourtant, a conquis. Les hordes adolescentes, fiévreuses, en redemandaient. Heureusement pour les autres, en plein air les buvettes ne sont jamais loin.
Les vieux : The Smashing Pumpkins
Nostalgiques, ados enragés, grappes de métalleux, fans hardcore, simples curieux, haters convaincus et même Miles Kane (un brin moqueur) : une fébrilité singulière palpable en ce samedi soir autour de la venue de Billy Corgan et de sa troupe explosive. Et après une heure d’un show jukebox (1979, Tonight, Ava Adore…) expérimental, virtuose, pédant (solos à la Van Halen), bourrin, attendu, festif, cérébral, spectaculaire (scénographie signée Sean Evans), ces publics, ont finalement pu tous s’y retrouver.
La phrase
“You can’t FUUUUUUUUUUUCK with the blues !”, Jon Spencer.
La photo
Indispensables et omniprésents, les 800 bénévoles du festival sont l’armée orange de Beauregard.