« Sorry to Bother You », sur Netflix : le feu d’artifice pop de Boots Riley, entre humour et conscience politique

NETFLIX – À LA DEMANDE – FILM

Qui eût dit que la ­pensée marxiste nous reviendrait au cinéma par les Etats-Unis, terre peu hospitalière à ce brandon révolutionnaire. C’est pourtant bien ce qui se produit avec le premier long-métrage de Boots Riley, Sorry to Bother You, qui doit autant, précisons-le d’emblée, à Karl qu’à Groucho.

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Un divertissement à l’intelligence tranchante, au sens aigu de l’absurde, mené sans subtilité superflue, pour ne pas dire sciemment à la truelle, droit au but et dans ses bottes, par le hip-hopeur et activiste afro-américain d’Oakland. Il reste fidèle tant à l’humour au vitriol qu’à la conscience politique qui marquent son parcours musical, inauguré avec l’excellentissime groupe The Coup dans les années 1990. Se paie le luxe de mettre, au pays de l’Oncle Sam, le capitalisme six pieds sous terre.

L’acteur Lakeith Stanfield incarne Cassius Green, jeune galérien afro-américain d’Oakland, qui vit dans le garage de son oncle, et encore à crédit, poursuit une relation entachée d’incertitude avec Detroit, une performeuse politiquement engagée, cherche à se sortir de la mouise par tous les moyens. La providence passe par une société de télémarketing, microcosme esclavagiste où un vieux renard lui conseille de prendre une voix de Blanc pour espérer se sortir un jour de l’aliénation.

Energie démentielle

Le conseil porte ses fruits. Voici Cassius promu dans le carré VIP des ­super-vendeurs. Hélas, sa rapide promotion ne rime pas avec l’émancipation dont il rêvait. Le voici repéré par Steve Lift, le PDG cocaïnomane de la holding, qui entreprend de transformer ­génétiquement ses employés en chevaux pour augmenter leurs capacités de travail. Cassius doit en parallèle gérer la grave crise de confiance que son entrée dans le Nirvana capitaliste a ouverte entre lui et sa fiancée, de même qu’avec ses camarades sous-prolétarisés du télémarketing qui entament une grève ­copieusement matraquée par la police locale.

Le film de Boots Riley, libre et frondeur, fait sonner une bande originale incendiaire

Le film joue avec un bel aplomb la crudité brechtienne, se révèle d’une acerbe drôlerie, et est doté d’une énergie démentielle. C’est un feu d’artifice pop. Parodie cruelle d’une communication soporifique destinée à transformer l’humanité en organe de consommation acéphale. Un film joyeusement récalcitrant, y compris à l’écosystème cinématographique qui le promeut. Parce qu’il est libre et frondeur, parce qu’il fait sonner une bande originale incendiaire, parce qu’il a l’habileté dialectique d’accrocher à son émeute esthétique une belle breloque de vedettes hollywoodiennes en devenir (Lakeith Stanfield, Tessa Thompson, ­Steven Yeun, Armie Hammer…).

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Ainsi, sur la carte toujours plus étendue du cinéma réalisé par des Afro-Américains, Boots Riley marque-t-il d’emblée un territoire très original.

Sorry to Bother You, film de Boots Riley (EU, 2018, 111 min). Avec Lakeith Stanfield, Tessa Thompson, Jermaine Fowler. Disponible à la demande sur Netflix.

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