Il adore les conflits, les joutes verbales, les duels, et, bien sûr, les situations « chaudes » où sa virilité fait merveille… Autres temps, autres moeurs : dans un immédiat après-guerre épris de légèreté et de frivolité, Jean Boyer met en scène un Casanova au machisme décontracté qui, las de Venise, décide de venir assouvir ses désirs à Paris. Avec ses deux parties sorties indépendamment dans les salles françaises (Le Chevalier de l’aventure et Les Mirages de l’enfer), ce film permit à la star de l’opérette Georges Guétary, bellâtre et play-boy de l’époque, de camper l’un de ses rôles les plus illustres. Ce Casanova cinématographique de l’avant-féminisme ne fut ni le premier (un film muet réalisé par Alexandre Volkoff en 1927 connut notamment un important succès) ni le dernier.
Le personnage mythique de l’infatigable séducteur a toujours inspiré les cinéastes attirés par la transgression. Notamment, nationalité oblige, les cinéastes italiens. Dans Casanova 70, Mario Monicelli (Le Pigeon) s’amuse, façon comédie anachronique, avec les fragilités de son héros, qu’il imagine sous les traits d’un attaché militaire de l’Otan aux prises avec de violentes névroses et contraint de consulter un psychanalyste pour résoudre ses problèmes d’ego et même de libido. Dans la peau de ce Casanova freudien, un acteur qui affichait lui-même un capital séduction exponentiel : Marcello Mastroianni. Un rôle qu’il reprendra en 1982 dans La Nuit de Varennes d’Ettore Scola : l’Italien vieillissant y charme à la fois Andrea Ferréol et Jean-Claude Brialy…
Comment a grandi le jeune Casanova dans la Venise du xviiie siècle ? S’inspirant des cinq premiers chapitres des Mémoires de Casanova, Luigi Comencini, cinéaste passionné par l’enfance et par l’adolescence (L’Incompris, Les Aventures de Pinocchio), signe un grand film qui retrace à la fois l’initiation du futur libertin et restitue avec inspiration une époque et une ville où les faux-semblants et l’attirance masochiste pour la décadence régnaient en maîtres. Un an après avoir campé Roméo dans le Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli, le juvénile Leonard Whiting incarnait ici son meilleur rôle, cinq ans avant d’abandonner le cinéma pour le théâtre.
Comme tous les héros surexploités par le cinéma, Casanova, durant sa longue carrière sur les écrans, a eu droit à son lot de nanars. Cas d’école : l’inénarrable 13 femmes pour Casanova où Tony Curtis, dans un double rôle, campe à la fois un Casanova aux performances douteuses voire quasi impuissant et un usurpateur ultraviril qui se fait passer pour le premier nommé. Entre effets comiques poids lourd et érotisme soft, le film, une vraie curiosité, compte également dans sa distribution (outre Marisa Berenson, photo), des seconds rôles que l’on ne s’attendait pas forcément à apercevoir dans un film sur Casanova : Jean Lefebvre et Gérard Jugnot…
La rencontre entre le mythique Casanova et le plus grand cinéaste de l’érotisme et du fantasme ne pouvait que provoquer des étincelles, voire un feu d’artifice. Ce fut le cas. Mais un feu d’artifice… funèbre. Dans ce film tourné intégralement à Cinecittà, dont le titre, Le Casanova de Fellini, souligne la subjectivité extrême, le cinéaste règle son compte à un personnage qu’il considère comme un « amoureux au sperme glacé », un « super trou du cul », une « machine à piston humaine », voire un « fasciste »… Le film, merveille de noirceur et de morbidité, dynamite les clichés accolés à Casanova et met en scène un antihéros se vautrant dans la débauche avilissante. La chair est triste et Casanova, alias le génial Donald Sutherland, livide et pathétique, lui-même réputé séducteur en série, n’est qu’un pantin dérisoire.
Le temps n’épargne personne et les rides creusent tous les visages, y compris ceux des infatigables séducteurs… Dans Le Retour de Casanova, en compétition à Cannes en 1992, Edouard Niermans dépeint un personnage aigre et amer, las de sa vie libertine, et qui sombre dans la neurasthénie quand une jeune fille, Marcolina (Elsa Lunghini), refuse de céder à ses avances. Un rôle sur mesure pour un séducteur emblématique entre tous : Alain Delon. Par une douloureuse ironie, le film, accueilli froidement par la critique et le public, retint surtout l’attention pour la prestation de Fabrice Luchini en valet du héros à bout de souffle.
L’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo sont passés par là… Dans son nouveau film, Benoît Jacquot, cinéaste fasciné par la féminité (L’Ecole de la chair, Les Adieux à la reine), ne dépeint pas un Casanova collectionnant les proies avec une facilité déconcertante, mais un homme mélancolique et en souffrance subissant la loi d’une jeune femme qui se joue de lui. Un séducteur démasqué et ses stratagèmes voués à l’échec : Dernier amour renvoie Casanova à la vacuité de son érotomanie et à son désarroi existentiel. Remarquablement scénarisé avec la collaboration de Chantal Thomas (auteur de Casanova, un voyage libertin, chez Denoël) et magnifiquement mis en scène, le film permet en outre à Vincent Lindon, désenchanté et crépusculaire, de donner le meilleur de lui-même.
Inscrivez-vous
Newsletter Week-end